« Sans titre »
Je n’aurais pas dû lui couper la tête. Un sein peut-être… Mais pas la tête. Je n’aimais pas ses yeux, trop tendres, si pleins de cette joie qui ouvre les voies du partage. Elle n’a pas voulu. C’est tant pis pour moi. Il me reste son corps, nu et l’histoire à écrire.
J’ai replié sa jambe et lui ai calé le pied sur la rotule pour ouvrir la perspective. L’eau acidule sa chair pâle, lascive, redondante de mes envies de sa jouissance. J’aurais pu la violer. Je ne sais pas faire. Tuer, non plus, je ne savais pas. Et pourtant, ce fut si facile. Il m’a suffi de serrer son cou. Elle ne s’est pas débattue.
Debout, je la regarde. Je l’appelle. Elle ne vient pas.
Non, décidément, ce tronc a besoin d’un visage. Je l’ai jeté au loin pas plus tard qu’il y a un instant. Dans quelle direction ? Par là. J’y cours. Elle y est, paupières ouvertes, collier de sang pour unique corsage, gisant parmi les herbes folles à deux pas de la berge. Elle est muette. Je la ramasse et, la tenant par la crinière, je la secoue pour qu’elle parle, qu’elle dise « Oui », « Non » ou « Zut ! », mais qu’elle dise.
Elle se tait, étrangère à ce corps, limpide, qui implore et crie l’en-vie. Je voudrais l’étreindre — le corps, pas la tête. Ou alors, elle doit fermer les yeux, cesser de souiller l’échange de ce regard dont la clarté m’aveugle. J’aurais pu lui exploser les prunelles. Le sourire serait resté, le nez, les joues et les oreilles avec.
Je retourne vers l’ombre laiteuse, abandonnant une nouvelle fois le crâne sur le rivage. Je tends la main. Un frisson me parcourt. Je m’accroupis et tire la langue, dévorant à distance seins, hanches et nymphes. Je n’ai pas vue sur ses fesses. Je le regrette et les croque à pleines dents. Ma bouche avale du vide. Le courant a lavé le sang. C’était pourtant joli, ce rouge, tout autour. Cela me rappelle une chanson…
« La giroflée et puis la rose… ».
J’aurais aimé la tuer d’une balle en plein cœur. Je ferai ça un autre jour, quand j’aurai le temps. Maintenant, je dois partir. Elle ne m’a pas aimée. Elle a presque ri de moi. Je serre le poing et m’avance. Vais-je ? Certainement pas. Je déplie chaque phalange, pose un baiser sur ma paume et l’envoie rigoler sur ce corps vierge de moi. Le baiser me revient.
— Mon amour, pourquoi m’as-tu coupé la tête ? Un sein, je ne dis pas, mais la tête.