[La nouvelle]
— J’ai quelque chose pour toi.
Lily se dandine, les mains dans le dos. Elle se sent tout embarrassée, gauche. Devant elle, le fils Martin la regarde de cet air gentil qu’il arbore si naturellement.
— Quelque chose pour moi ?
— Oui…
Elle sort de derrière son dos le paquet qui s’y cachait et le lui tend.
— Joyeux anniversaire !
Le fils Martin est surpris.
— Ce n’est pas mon anniversaire.
— C’est celui de notre premier randori.
Il prend le paquet.
— Excuse-moi, je…
— Je m’en doute. Je m’en souviens juste parce que c’est aussi l’anniversaire de mon père et que maman m’avait grondée car j’étais revenue avec un gros coquard.
— Je t’ai mis un méchant coup lors de notre premier randori ?
— Oui ! Tu m’as secouée un peu comme une brute et avec les kimonos qui tiennent mal tu m’as collé ton poing sur la pommette en pêchant.
— Je suis désolé ! J’avais oublié.
— Je ne te l’avais jamais dit et ce n’est devenu tout bleu que le soir. Et puis, après ça, tu as toujours fait très attention. C’est pardonné ; le cadeau, ce n’est pas pour le coquard, c’est parce que je… je… tu es mon partenaire préféré !
Le fils Martin rougit. Il ouvre ses bras. Lily y plonge. Il referme ses bras, elle les siens. Le temps s’arrête, celui nécessaire pour qu’ils gouttent chacun la douce chaleur de l’étreinte. Les chairs ont des réactions un peu étranges. Ni Lily ni le fils Martin n’y font véritablement attention ; ils ont l’âge où l’émotion leur suffit.
Un toussotement se fait entendre.
— Excuse-moi de vous déranger mais cela va être l’heure de fermer la salle.
Les deux enfants sursautent. Ils se sentent pris en flagrance de quelque chose qu’ils ne sauraient définir et que le sourire de Freddy avère.
— On ne fai…
Le co-équipier de Eunice pose deux doigts sur la bouche de Lily.
— Chut, ne dis rien. Les mots sont parfois plus graves qu’ils ne devraient l’être. Allez ! filez.
Ils attrapent leur sac de judo et quittent la salle de sport. Freddy descend le rideau derrière eux. Il éteint la plupart des lumières, ne gardant que le nécessaire pour passer l’aspirateur. Il a une petite demi-heure devant lui avant de rejoindre son plan du soir. Pour une fois, c’est un gars qu’il connaît, le genre plutôt tendre qui aime autant les câlins que la baise sans fioritures. Il devra juste faire attention de ne pas céder à la facilité de rester dormir avec lui. Il n’a pas envie de s’attacher ; tout devient si compliqué quand la peur de perdre l’autre se substitue au désir.
Après avoir rangé l’aspirateur, il donne un coup de serpillière dans les vestiaires et les douches puis décide qu’il est temps de prendre la sienne et filer. Même si ce n’est pas génial pour la planète, il aime prendre sa douche au club car l’eau y est bien chaude et le jet puissant. Il s’enduit de savon puis regarde l’eau chasser la mousse, laissant luisante sa peau pour mettre en valeur sa musculature de professeur de sport. Son sexe au repos lui fait un clin d’œil. Freddy coupe l’eau chaude et apaise ses sens d’un jet d’eau glacée. Brrr ! Il enfile une tenue propre, éponge la douche, remballe ses affaires et quitte la salle par la porte arrière.
— Bonsoir Freddy ! La journée a été bonne ?
— Super, Camille ! Et toi ?
Ils s’embrassent chaleureusement.
— Les enfants étaient un peu énervés en cette veille de week-end mais ce sont des enfants. Il y en a toujours un pour inventer quelque chose qui me fait oublier les moments difficiles. Tu as des projets pour ce week-end ?
— Non, pas vraiment. Si Eunice a besoin que je la remplace pour que vous sortiez…
— Surtout pas, malheureux ! Laisse-la bosser ; j’ai aussi du travail et un apéro avec deux vieilles copines !
Ils rient de concert et s’embrassent à nouveau en se disant à bientôt. Un étage plus haut, Eunice sort de la cuisine en entendant la clé dans la serrure. Elle passe la tête dans l’escalier.
— Bonsoir ! Tu peux aller chercher du pain ?
— J’ai pris une boule au levain près de l’école.
Eunice sourit. Elle regarde Camille monter lentement les marches.
— Comment savais-tu que j’allais oublier ?
— Quand tu es en mode femme au foyer, tu oublies toujours le pain.
— C’est vrai que passer à la boulangerie en rentrant du travail, c’est un truc de mec ! Tu as pris des chouquettes et demain tu descends la poubelle ?
Camille a atteint le palier. Ses lèvres font taire les bêtises de Eunice dont les mains enserrent sitôt sa taille. Le baiser donne le ton de ce début de soirée, fougueux et tendre à la fois. Camille peine à ne pas lâcher son sac d’école ni la baguette. Le crépitement de l’eau qui déborde d’une casserole et chatouille le brûleur la sauve. Eunice se précipite dans la cuisine. Elle coupe le gaz. Camille la rejoint.
— C’est grave ?
— Non, juste un petit débordement.
L’œil de Camille luit.
— Un petit débordement ?
— Coquine !
Camille pose le pain sur la table, son cartable contre le pied. Eunice s’est avancée. Elle aide Camille à retirer son manteau.
— Il faudrait que je prenne une douche…
— Bien sûr.
Eunice s’agenouille et délace ses chaussures. Camille prend appui sur son épaule pour les faire sauter. Eunice se relève, se saisit de sa main et la guide jusqu’à la chambre qui jouxte la salle d’eau. Un à un, elle retire les vêtements de Camille, attisant de caresses furtives les chairs les plus sensibles. Avant de l’abandonner à la douche, elle embrasse les cicatrices laissées par la mastectomie. Camille frémit. Eunice la sonde du regard.
— Tu as mal ?
— Non, mais la sensation est toujours étrange.
— Si ça te gêne vraiment…
— Oh non ! J’aime comment tu aimes mes cicatrices.
Eunice attrape ses fesses à pleines mains, avec une once de brutalité maîtrisée.
— Et ça, tu aimes ?
Camille éclate de rire et part en courant jusque sous la douce. Eunice ne l’y suit pas. Elles ont toujours su préserver des espaces d’intimité, considérant que le couple est une addition et non son produit. Elle s’allonge sur le lit, toute habillée, mains calées derrière la tête. Camille se chargera d’enlever ou pas ses vêtements, selon son envie de jouer de la contrainte. Elle ferme les yeux. Le bruit de l’eau qui cogne la faïence l’apaise avant que le chuchotement des déplacements de Camille n’attise de nouveau ses sens.
Dans la cuisine, son portable annonce l’arrivée d’un message. Eunice ne bouge pas. Elle sait Camille proche d’avoir terminé ses ablutions et aucune urgence ne vaut qu’elle se prive de ce moment unique où son amoureuse va la rejoindre sur le lit, l’embrasser peut-être, ou la caresser, ou simplement la regarder d’un œil qui en dira long. Qu’importe ! Eunice garde les paupières baissées quand la poignée de la porte grince ; elle ne veut rien voir, tout sentir, éprouver. Un second texto arrive. Eunice est si concentrée sur le pas de Camille sur la moquette qu’elle ne l’entend pas. Elle fait bien. Ce n’était pas très important. C’était juste Louisette qui s’excusait du message vide envoyé par mégarde, son téléphone ayant parfois ses vapeurs. Elle attend Joséphine et, dans sa fébrilité, elle a appuyé sur la mauvaise touche, ce d’autant qu’elle était en pleine cuisine.
Ce soir, elle prépare une galette de semoule qu’elles mangeront avec des navets et pois chiches aux épices couscous : une de ses spécialités ! En plus de s’être trouvées dans un désir sexuel qui ne se tarit pas, elles ont en commun une forte inclination pour les plats faits maison avec peu de viande et beaucoup de légumes. Joséphine s’est forgé une alimentation goûteuse et équilibrée lors de ses années de compétition tant « rester au poids » est impossible sans frustration permanente si l’on ne consomme que de la nourriture industrielle. Le fait que Louisette soit dans le même registre, par goût et par envie d’être en bonne santé, leur a permis de tisser une relation de partage au-delà de la bagatelle.
Louisette veut absolument que tout soit prêt avant que Joséphine n’arrive : elle sait qu’elles ne maîtriseront pas l’ordre des choses une fois qu’elle aura franchi la porte palière. Elles ne se sont pas vues depuis une petite semaine, chacune ayant des soirées bien chargées entre cours de judo, engagements, cercle amical et moments paisibles en solitaire. Ni l’une ni l’autre ne souhaite céder à leur désir ce qui fait leur vie et les épanouit. Elles se donnent donc rendez-vous, à plusieurs jours ou à la dernière heure pour savourer le meilleur, sans exclure d’évoquer le pire. Elles partagent un repas, un cours de judo, une soirée, une nuit, une balade, une expo, un jogging… Qu’importe tant qu’il ne s’agit pas de tuer le temps et que chacune arrive les mains pleines.
— Tu es mignonne comme ça !
Joséphine rit après l’avoir embrasée. Louisette fronce les sourcils. Elle ne comprend pas avant de subitement se souvenir que, depuis qu’elle est rentrée, elle a enfilé et retiré les vêtements au gré de ses activités et de l’aération de son appartement au point d’avoir très certainement une touche impayable. Louisette rit à son tour.
— Excuse-moi, je sors juste de la cuisine, je n’ai pas eu le temps de me changer ; je dois être affreuse !
— C’est impossible !
Louisette rougit. Joséphine l’embrasse à nouveau. Le baiser dure le temps que les souffles soient courts. Les mains de Joséphine courent déjà sous le tee-shirt, celui qui est contre la peau, sans intention de s’occuper des trois couches superposées par-dessus.
— Tu fais toujours la cuisine en culotte et chaussures de sport ?
— Non, c’est rare. Je préfère les caleçons à la maison.
— C’est vraiment sexy !
— Tu trouves ?
Joséphine s’écarte de deux pas.
— Oui.
Louisette fait sauter ses runnings qu’elle avait enfilées pieds nus et se campe sur ses jambes, mains posées sur les hanches.
— Et ça t’inspire quelque chose ?
— Que tu enlèves ta culotte.
Louisette sourit.
— Et puis quoi encore ?
— N’oublie pas que j’ai plus de dans que toi.
— Et cela donne des compétences particulières ?
— Kami shio gatame ?
Leur éclat de rire les mène jusqu’à la chambre de Louisette où le lit les accueille à draps ouverts. Avant d’y plonger, Louisette retire sa culotte. Elle s’installe face au mur à genou au-dessus du visage de Joséphine qui cajole l’intérieur de sa vulve pendant qu’elle enlève le reste de ses vêtements. Elle sait combien Joséphine se réjouit du spectacle de sa poitrine alors que sa bouche dévore clitoris et petites lèvres. Parfois, elle empoigne ses fesses pour la diriger ; d’autres, elle caresse ses seins ou pince ses tétins.
Quoi qu’il en soit, le désir de Louisette est total. Ses chairs se mettent en quête de cet instant où Joséphine, en bonne judoka, sortira de l’immobilisation pour la basculer sur le dos et plonger son index en son vagin. L’idée seule tire déjà des ondes de félicité de sa gorge. Elle se concentre sur la bouche de Joséphine ; jouir en pleine conscience, ce n’est pas si facile. Il le faut car Joséphine ne procède pas toujours de la même façon. Son index n’est pas acquis, au moins dans les dix minutes à venir. D’ailleurs… Et si…
Louisette bascule d’elle-même sur le dos puis se met à plat ventre. Joséphine s’installe à califourchon au-dessus de ses reins et entame un long massage en partant des trapèzes assortis de quelques baisers dans le cou. Sa main glisse entre ses fesses. Louisette frémit. La main poursuit sa route et passe la fourchette. Elle explore la vulve, repart par où elle est venue, revient. Louisette a le souffle court. Moult tentations sillonnent son désir, de l’avouable à l’inavouable ; du fort, du doux, du qui ne sait dire son nom. Les doigts quittent leur parcours. Joséphine s’allonge sur le dos de Louisette et avance la bouche jusqu’à son oreille.
— J’ai faim…
— Mange !
[e-criture]
[#84] Les deux jeunes gens qui se captent (V-01)
![Cy Jung — [#84] Les deux jeunes gens qui se captent (V-01)](local/cache-vignettes/L200xH220/icone_mimie_400-193-aa5d7.jpg?1586078285)
[Le prétexte] Deux jeunes hommes se disent au revoir dans le métro en se tapant dans la main.
— Demain, on se capte !
Petit rappel liminaire
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Cy Jung, 5 avril 2020®.
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Rappel
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