[e-criture]
Cela pourrait commencer comme ça…

Écrire pour une publication en ligne est un exercice particulier. Parce qu’il est possible de publier dans un laps de temps très court, parce qu’il n’y a pas d’éditeur pour porter un regard critique, le texte est forcément plus spontané, moins abouti, moins « bon » ?
Cy Jung en prend le risque et vous propose des textes courts en « e-criture », textes de fiction nourris d’un « prétexte » emprunté à la vie de tous les jours et qui pourraient commencer comme ça… Pourquoi pas ?
Une présentation plus complète est disponible ici.
Note : Chacun de ces textes est susceptible d’être retravaillé et mis en ligne dans ses différentes versions.
[#93] La femme qui veut acheter des savons (V-01)

[Le prétexte] Je reçois ce texto alors que je travaille sur une nouvelle en [e-criture].
« Bonjour Fleur, j’espère que tu vas bien. On s’était vues à une soirée avec Stefan. J’habite Paris. J’aimerais avoir 2 petits savons avec pochette (voyage) ainsi qu’un grand. Comment faire ? J’ai un trop vieil ordi pour acheter sur Internet. Je peux t’envoyer des sous via une enveloppe postale ! Est-ce possible ? Amitiés. Sylvie. »
[La nouvelle] Il a le sourire d’un enfant. Cela n’émeut pas les trois gardiens qui l’accueillent dans sa cellule, bras croisés sur le torse. Ils en ont tellement vu des petites gueules dans son genre qui ont des mains d’assassin. Celui-là qui arrive sera bientôt guillotiné. Il a refusé la grâce que le président aurait accordée. Il crâne. Il a le sourire de ceux qui narguent la vie. Il n’a pas 25 ans. Comment peut-il imaginer qu’il va mourir ? Il s’est évadé tant de fois. Il le fera encore et c’est un (...) Lire la suite…
[#92] Les jambes qui n’ont pas d’artère (V-01)

[Le prétexte] Je rentre tard du judo. Il est presque minuit. L’heure du crime ?
Trois gars discutent en bas de chez moi.
— Si on te tire dans les jambes. Tu ne risques rien ! Y pas d’artère dans les jambes.
Aucun des deux autres ne rectifie.
Le 1er novembre 2020, dans le cadre du second confinement, Cy Jung a invité ses lectrices et lecteurs à écrire un texte court à partir de ce Prétexte. Trois ont répondu. Voici leur texte, la nouvelle en [e-criture] de Cy Jung est juste en dessous. ∴Les jambes qui n’ont pas d’artère Les marcheur(e)s, par groupe de cinq, commencèrent à escalader les Dentelles de Montmirail. C’était un dimanche comme les autres, plus doux peut-être, et Ornella prit conscience qu’elle était trop chaudement habillée. Elle (...) Lire la suite…
[#91] Le chien qui a la courante (V-01)

[Le prétexte] Deux dames observent des déjections canines. Elles devisent.
— C’est dégoûtant ! Les gens pourraient ramasser.
— Celui-ci a la courante. Je comprends. Mais pas l’autre !
Merci à Carine Petit, maire du 14e, pour sa présence. [La nouvelle] Abibata le regarde. Il n’a pas quitté le canapé depuis ce matin hormis pour un semblant de prière. Lui ne la regarde pas. Son esprit est absent à la présence des enfants et de leur mère. Il est encore là-bas, près de sa nouvelle jeune épouse avec qui il a passé l’été avant de rentrer à Paris ; c’était la fin des vacances. Il doit travailler dur s’il veut y retourner, gagner de l’argent sans que personne ici ne le dépense. Quand il est (...) Lire la suite…
[90] Les deux femmes qui traversent la rue (V-01)

[Le prétexte] Deux femmes en fauteuil roulant traversent une rue, l’une derrière l’autre.
Celle de tête : — Non, il faut juste que je me lave les oreilles.
Trois secondes passent.
La suivante : — Je peux te les laver.
[La nouvelle] Camille entre dans la salle de sport par la porte qui mène à l’appartement. Eunice est sur le tatami en short et débardeur, un balai à franges en main. Elle astique, rince, essore, astique, rince… Camille la hèle de loin afin de ne pas lui faire peur. — Eunice ! Tu as besoin d’aide ? — J’ai presque fini. Elle s’approche au bord du tapis pour glisser un baiser sur ses lèvres. Camille remarque un peu plus loin le large balai qui permet d’essuyer l’humidité restante. Elle retire chaussures et (...) Lire la suite…
[#89] Ce que l’on ne fait qu’à Nice (V-01)

[Le prétexte] J’entends une voix, très calme, qui vient de la rue alors que je suis dans ma cuisine.
— Si tu veux faire ça, tu le fais à Nice. Ici, tu es à Paris.
Je ne comprends pas la réponse.
— Oui, à Nice, tu peux écraser les gens. Pas à Paris.
[La nouvelle] Laure pose son téléphone et l’éteint. Côté photo, la nana lui plaît moyen mais sa réponse « Je fais mon possible. » à la question « Qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » avère qu’elle est de la bonne génération et que, pour cette fois, ne se cache pas derrière son pseudo une gamine qui se vieillit en espérant trouver dans son profil la stabilité que l’on dit échapper à la jeunesse. Quelle bêtise ! Ne savent-elles pas, ces trentenaires, que les relations qui durent vingt ans et plus se nouent à l’âge (...) Lire la suite…
[#88] Le terminus qui change (V-01)

[Le prétexte] Quai de la ligne 12. Station Montparnasse.
Deux voyageurs égarés, plan en main, veulent aller à Saint George. Ils sont sur la bonne ligne, dans le bon sens.
— Mais sur le plan il est indiqué « Porte de La Chapelle » alors que sur le quai c’est affiché « Aubervilliers ».
— Votre plan est trop vieux. Ils ont ajouté une station et le terminus a changé. Sur la 4 c’est pareil.
— Ah ! c’est là qu’on s’est trompés tout à l’heure.
[La nouvelle] Joséphine ouvre un œil ; elle tend le bras sur sa droite. Louisette n’y est pas. « Où es-tu ? » Son esprit endormi peine à se poser véritablement la question. Un trait de lumière indique que le soleil est levé. Le radio-réveil le confirme. 8:24. Louisette n’est pas du genre à traîner au lit. C’est une agitée du petit matin. Joséphine sourit. Elle est en vacances. Le thé peut attendre. Sa paupière retombe. L’air malicieux de Louisette cueille son imaginaire avant que le rêve ne se forme. Elle (...) Lire la suite…
[#87] Le quoi qui n’a pas de magasins dedans (V-01)

[Le prétexte] Deux femmes passent devant le centre Pompidou.
— C’est quoi ?
— Beaubourg. Un musée.
— Alors il n’y a pas de magasin là-dedans ?
[La nouvelle] Astrid s’ouvre au ciel. Ses yeux se ferment seuls. Sur sa joue, la gauche, le vent laisse doucement sa place au soleil ; sur la droite, il résiste. Le visage se coupe en deux, pile au niveau de l’arête du nez. Chaud à gauche ; frais à droite ; cela pourrait résumer les enjeux de cette élection. Mais pourquoi en être arrivée là, face aux éléments, vouloir troquer l’adversité primitive du jour qui point contre cette rivalité où la testostérone (réelle ou affirmée) n’a d’égale que la méchanceté (...) Lire la suite…
[#86] — L’homme qui est vivant (V-01)

[Le prétexte] Texte d’un microbillet Twitter.
France5. Un homme, amputé pour cause de diabète, teste sa prothèse, très ému de marcher. Il évalue le temps de rééducation nécessaire.
— Ça va être long. [petit silence] Mais si c’est long, c’est que je suis vivant.
Vivant. J’en ai les larmes aux yeux.
In vivo, intégrale, « Diabète, le drame de l’amputation » 9 juillet 2019.
Cette nouvelle fait miroir à un communiqué de Cy Jung, « Les hommes blancs veulent restaurer le monde d’avant ; démonstration par le sport » du 5 mai 2020, ici. ∴ À mon ami Johnny Delort-Dedieu, professeur de judo et compétiteur. [La nouvelle] — On s’en est tirées ! Eunice enlace Lily dès qu’elle a franchi le pas de la porte de la salle de sport. La petite fille manque de s’étouffer sous l’étreinte mais c’est si bon d’être là ! Eunice s’écarte enfin. — On a eu chaud, quand même ! — Oui, sensei. Je ne suis (...) Lire la suite…
[#85] — La jeune fille qui cherche à perdre du poids (V-01)

[Le prétexte] Une jeune fille est avec son papa. Elle lit à haute voix un compte rendu de rendez-vous médical. Je comprends qu’elle est en surpoids. Elle doit faire de la marche avec des bâtons, manger moins de sucre, etc. Son père reprend chaque suggestion à son compte. Elle répond systématiquement, sur un ton de débile, « J’ai pas envie. »
Puis elle lui demande :
— C’est quoi « sodium » ?
Il ne sait pas.
[La nouvelle] — Passe-moi le sel. — C’est bien assez salé comme ça. — Tu trouves ? Ça reste fade. — Traite mon plat de fade ! — Si tu mettais un peu de viande, cela donnerait du goût. Là, ces céréales en bouillie avec des légumes bouillis aussi, non, franchement, c’est pas terrible. — Si ça ne te plaît pas, tu peux te faire la cuisine. La viande, il faut arrêter d’en manger. C’est bourré de graisses que l’on ne voit pas et qui bouchent les artères. Tu te souviens que le médecin t’en a parlé, le cholestérol ? — (...) Lire la suite…
[#84] Les deux jeunes gens qui se captent (V-01)

[Le prétexte] Deux jeunes hommes se disent au revoir dans le métro en se tapant dans la main.
— Demain, on se capte !
[La nouvelle] — J’ai quelque chose pour toi. Lily se dandine, les mains dans le dos. Elle se sent tout embarrassée, gauche. Devant elle, le fils Martin la regarde de cet air gentil qu’il arbore si naturellement. — Quelque chose pour moi ? — Oui… Elle sort de derrière son dos le paquet qui s’y cachait et le lui tend. — Joyeux anniversaire ! Le fils Martin est surpris. — Ce n’est pas mon anniversaire. — C’est celui de notre premier randori. Il prend le paquet. — Excuse-moi, je… — Je m’en doute. Je m’en (...) Lire la suite…